Bénin : des productrices d’ananas améliorent leurs compétences commerciales et les revenus des ménages
Christiane Gbedji sait désormais tenir un livre de caisse, gérer le budget de son exploitation d’ananas et obtenir un microfinancement pour étendre ses activités. Avec son mari, elle envisage désormais un avenir plus serein pour leur exploitation agricole. Plus de 650 femmes ont déjà suivi le même parcours.
« Ma joie est grande, je suis si heureuse ! Je peux écrire et tenir mon cahier de caisse sans l’aide d’un proche ; c’est plus qu’un rêve qui vient de se réaliser », rayonne Christiane, qui vient d’achever le cycle de formations organisé par Enabel et l’Université de Namur, en partenariat avec les autorités Béninoises locales.
« Mon mari et moi sommes très enthousiastes. Nous sommes certains que le chiffre d’affaires de notre activité de culture d’ananas va considérablement s’accroître, car nous pourrons mieux nous organiser dans notre planification et notre gestion financière. »
De nombreux défis
Le parcours de Christiane est réjouissant à plus d’un titre. Il résulte en effet d’une initiative d’autonomisation des femmes mise en place par Enabel dans le cadre du programme de Développement de l’Entrepreneuriat dans la Filière Ananas (DEFIA). Cette initiative vise à aider les femmes productrices d’ananas au Bénin à surmonter les difficultés qui entourent leur activité, pourtant nécessaire au bien-être de leur famille :
- leur faible niveau d’instruction rend difficiles la tenue de livres de comptes et la planification financière ;
- les traditions leur imposent d’aider leur époux avant de se consacrer à leur propre exploitation, ce qui limite leurs possibilités de développer de nouvelles sources de revenus pour leur famille ;
- l’absence de documents d’identité les empêche, entre autres, de faire enregistrer une carte SIM, indispensable pour sécuriser les opérations de transfert d’argent par téléphone mobile, d’accéder à certains services publics comme l’enregistrement des terres, de demander un microcrédit et de circuler librement pour trouver de nouveaux débouchés pour leurs produits.
Dans la commune de Toffo, où habite Christiane, sur les 103 femmes bénéficiaires de l’action d’Enabel, seules deux ont une carte d’identité. Une enquête menée par l’ONG IPAD à la demande de DEFIA a révélé que plus de 95 % des bénéficiaires du programme ne disposaient d’aucun document d’identification, ni même d’un acte de naissance. Cet état de fait les met face à de nombreuses contraintes qui les maintiennent dans une position de précarité.
La situation nuit donc à l’épanouissement des femmes dans la filière ananas, et ne leur permet pas d’accéder aux mesures d’accompagnement mises en place par Enabel au travers du programme DEFIA, notamment les subventions pour l’extension des plantations et les opérations de dessouchage, labour et plantation de rejets. Moins de 7 % des femmes productrices d’ananas ont ainsi pu en bénéficier.
Or, le rôle des femmes est crucial dans l’économie du Bénin. En effet, 70 % d’entre elles vivent en milieu rural, où elles réalisent 60 à 80 % des travaux agricoles et fournissent jusqu’à 44 % des prestations nécessaires pour nourrir leurs familles. Dans le maillon « production » de la filière ananas, les femmes représentent environ 15 % de l’effectif total des exploitations d’ananas dont les superficies sont inférieures à 0,5 hectare.
Des actions ciblées
Pour faire face à ces défis, Enabel et l’Université de Namur ont conçu une série d’actions visant à appuyer l’entrepreneuriat féminin et l’autonomisation des femmes dans la filière ananas :
- cycle de formations répondant aux besoins des productrices, couplé à une subvention spéciale pour les activités de dessouchage, de labour, de fourniture et de plantation de rejets ainsi que d’octroi de films de paillage biodégradables ;
- plaidoyer pour l’accès des femmes au foncier et mise en relation des femmes et des propriétaires de terres non exploitées et viables pour la production d’ananas avec le soutien des autorités ;
- accompagnement des femmes dans les formalités d’obtention des documents administratifs nécessaires, notamment la carte d’identité ;
- appui aux femmes pour accéder à des équipements adaptés
Environ 674 femmes sont impactées par ces actions, qui ont démarré par les cycles de formations et le soutien à l’obtention de subventions pour la mise en exploitation de nouvelles surfaces. À terme, ce sont plus de 300 hectares de nouvelles terres agricoles qui seront ainsi mis à leur disposition. Leurs plantations seront également recouvertes de films de paillage biodégradables. Outre une meilleure gestion de l’eau et des produits adventifs, ces films diminuent le besoin de recourir à une main-d’œuvre spécialisée, trop souvent inaccessible aux femmes.
Obtenir le soutien des maris
La réussite du programme doit beaucoup aux efforts déployés pour obtenir l’adhésion et le soutien actif des maris. DEFIA les a impliqués dès le départ dans les formations organisées, afin de les amener à mieux comprendre le besoin d’autonomisation et d’indépendance de leurs épouses. La plupart d’entre eux ont apprécié cette approche, car elle permet de les sensibiliser et de les amener à davantage soutenir leurs épouses dans les travaux des champs.
« Nous nous considérons parfois comme “Dieu” : c’est nous qui décidons si oui ou non nos épouses peuvent prendre part à une activité », nous confie Gérard Kougnitode, époux d’une des bénéficiaires de la formation. « DEFIA a bien compris cela en nous associant aux formations et en nous permettant d’y assister. Nous sommes heureux de cette considération et surtout nous sommes plus enclins à autoriser nos femmes à assister à ces séances d’éducation, de coaching, car nous savons ce qui se dit à nos femmes et nous y adhérons totalement ».
Gérard est non seulement heureux d’avoir permis à sa femme de bénéficier de la formation, mais il est aussi très enthousiaste, car le coaching lui a permis d’améliorer lui aussi ses propres activités.
Des résultats concrets
Christiane, âgée de 45 ans et mère de 6 enfants, a suivi avec succès le cycle de formations. Elle utilise désormais des symboles pour décrire ses besoins et tenir son livre de caisse. Elle peut planifier, organiser et gérer son budget, et est même capable de concevoir un business plan et de le soumettre à une institution de microfinance. « Notre animateur a su rendre facile ce que je croyais difficile, voire irréalisable vu que je ne savais ni lire ni écrire », commente-t-elle fièrement. « Je remercie également mon époux de m’avoir permis de suivre les sessions de formation organisées par DEFIA et de m’avoir accompagnée durant tout le processus. »
Delphine KINDJIHOUANDE, productrice d’ananas, habite également dans la commune de Toffo. De son côté, elle a pu recevoir sa carte d’identité biométrique.
« Je suis très contente. Si j’avais dû faire toute seule toutes les démarches pour obtenir ma carte d’identité, je me serais découragée. Notre formateur nous a non seulement permis d’acquérir de nouvelles compétences en gestion, mais il nous a aussi aidées dans nos démarches.
Avec cette carte, je vais immédiatement me rendre auprès d’une institution de microcrédit pour faire ma demande de prêt et investir les fonds dans mon champ afin de l’agrandir. Je vais aussi me lancer dans le commerce pour mieux prendre soin de ma famille ».