Interview avec Pierre, Expert Junior Environnement pour Enabel
Le récit de Pierre en Guinée, un bioingénieur qui a développé des filières de valorisation et de recyclage des déchets ménagers pour le projet SANITA Villes Propres d’Enabel. Il retrace son expérience débutée quelques mois avant la crise sanitaire, ses réalisations et l’apprentissage mutuel d’avoir pu collaborer au sein du projet avec un jeune stagiaire guinéen.
Un projet d’assainissement sur l’expertise et la protection de l’environnement.
Pierre, Bioingénieur de formation, est parti à Conakry pour développer des filières de valorisation des déchets ménagers en milieu urbain. Il a contribué au Programme SANITA Villes propres d’Enabel, un Programme de Développement et d’Assainissement urbain en Guinée, financé par l’Union européenne, qui vise à professionnaliser la filière de gestion des déchets solides dans la capitale Conakry et la ville de Kindia. Il a pour but d’améliorer la collecte porte-à-porte, le tri et le recyclage de déchets, mais également l’aménagement des voiries et le nettoyage des caniveaux pour assurer une meilleure évacuation des eaux pluviales.
Suite à la pandémie COVID-19, Pierre a été rapatrié quelques mois en Belgique au cours de son contrat. Bien qu’ayant pu continuer sa mission à distance en télétravail, il n’a pas pu avancer comme espéré dans son travail. Il a donc souhaité prolonger son contrat de 6 mois afin de pouvoir atteindre les objectifs annuels qui lui avaient été assignés.
Comment a débuté l’aventure en Guinée ? Quelles ont été tes premières impressions à l’arrivée ?
Diplôme de bioingénieur en poche fin 2018, je m’envole l’année qui suit en Guinée en tant qu’Expert Junior Environnement pour rejoindre un projet d’assainissement urbain. Il s’agissait d’un grand défi personnel et professionnel. Un défi personnel car c’était la première fois que je partais seul à l’étranger pour une si longue période. Un défi professionnel car ce fut véritablement ma première expérience professionnelle dans un domaine d’expertise méconnu.
C’est ainsi que je débarque à Conakry pour un an, ou plus si affinité. Quittant un hiver belge pour une saison sèche guinéenne, avec des émotions partagées entre la douleur des « aurevoirs » et la joie des multiples « bonjour » à venir.
Conakry est une capitale où les cinq sens sont stimulés en permanence, pour le meilleur ou pour le pire. C’est une ville grouillante d’odeurs, de mouvements, de bruits, et de déchets… Bien que cette pollution ne semble pas entraver la bonne humeur et joie de vivre des citadins, l’importance et les enjeux du projet que je rejoins sont palpables, le défi est de taille !
Ces premiers aperçus de l’agglomération étoffent ma motivation initiale pour contribuer à l’assainissement de cette ville. Convaincu et motivé, je rejoins l’équipe Enabel du Programme « Sanita Villes Propres ». Il s’agit d’une équipe de 40 collaborateurs aux compétences très variées. Cette interdisciplinarité est nécessaire pour répondre au mieux à la diversité des interventions prévues par le projet : la réalisation d’infrastructures d’assainissement, le renforcement des capacités des parties prenantes, le développement du système de gestion des déchets, la digitalisation, la sensibilisation, etc.
Que fait concrètement un Expert Junior en Environnement au sein d’un tel projet ?
Dans cette grande équipe, je suis chargé de développer des filières de valorisation et de recyclage des déchets ménagers. Je pars d’une page blanche sur laquelle on me donne toute l’autonomie et la confiance nécessaire pour passer à l’action.
La priorité pour la valorisation porta d’abord sur les déchets organiques, représentant les volumes de déchets les plus conséquents. J’ai donc débuté ma mission en créant une issue, plus favorable que la décharge, pour cette matière organique. C’est ainsi qu’a vu le jour une plateforme pilote de compostage sur laquelle nous avons pu expérimenter la transformation d’ordures fermentescibles 1 en engrais organiques dédiés au maraichage péri-urbain.
Ce pilote de compostage m’a également permis de me rendre à Kindia, petite ville secondaire, où il est prévu de dupliquer ce pilote. Ce fut pour moi l’occasion de rencontrer les organisations paysannes pour échanger sur la problématique des intrants agricoles. Ces nombreuses rencontres de terrain et ateliers ont donné la trajectoire du développement de cette « filière compost » afin de répondre aux attentes de l’agriculture locale.
Par la suite, il a été question de créer des filières de valorisation pour les autres catégories de déchets (plastiques, métaux, électriques, etc ). Mais avant de foncer tête baissée vers des actions non pertinentes par rapport au contexte local, nous avons préalablement enquêté auprès des différents acteurs de la valorisation déjà présents dans la capitale. En effet, bien que peu visibles et difficilement identifiables, nombreux sont ceux déjà actifs dans le recyclage de ces matières valorisables. Que leur activité soit industrielle ou artisanale, il était nécessaire de comprendre et analyser l’existant afin d’apporter des pistes de renforcement adaptées.
Pour ces enquêtes de terrain, j’ai recruté une équipe d’enquêteurs professionnels. Ensemble, nous avons sillonné les rues de la capitale à la recherche de ces acteurs du recyclage agissant dans l’ombre. Les entreprises de production (emballages, …) et de recyclage ont également été rencontrées afin d’identifier les forces et faiblesses de chaque filière. Ces centaines d’enquêtes ont permis de mettre en lumière les flux de matières trouvant déjà des débouchées, de cartographier ces circuits de valorisation, d’estimer les quantités traitées, les qualités de matière recherchées, les besoins non-satisfaits, …
Le constat était clair, bien qu’une activité intense soit déjà présente, les filières de valorisation des déchets plastiques et électroniques devaient être mieux structurées et organisées. Les déchets métalliques quant à eux se passaient bien de notre intervention.
Ce dont tu es le plus fier après un an et demi sur le terrain ?
Ma mission touche à sa fin. Les premiers volumes de compost arrivent à maturation, prêts à être répandus dans les champs-écoles.
Les synergies avec les parties prenantes actives dans le renforcement de l’entreprenariat ont été établies pour initier le développement des filières de valorisation porteuses. La relève est assurée : une nouvelle Experte Junior arrive pour prendre le relais sur mes activités en cours.
Je suis également très content que le stagiaire guinéen que j’avais recruté fut embauché dans l’équipe du projet grâce à l’expérience et à la connaissance du secteur qu’il a pu acquérir durant son stage. Mais aussi, un autre collaborateur a rejoint l’équipe pour garantir un bon suivi des activités de valorisation qui ne cessent de s’intensifier.
Qu’est-ce que cette expérience t’a permis de découvrir au niveau personnel et professionnel ?
Sur le plan personnel, cette expérience m’a donné l’opportunité de découvrir un pays méconnu qui dévoile chaque jour de nouvelles facettes. En Guinée, le tunnel de la découverte et de la surprise est sans fin. Même si l’environnement peu accueillant de Conakry pourrait dissuader de nombreux voyageurs, il faut voir plus loin, plus haut.
“ L’hospitalité et la gentillesse de ses habitants assainissent à elles seules l’atmosphère de la ville ! ”
Sur le plan professionnel, ce fut une chance d’entamer cette première expérience professionnelle avec une telle autonomie ainsi qu’un niveau de responsabilité conséquent. La confiance accordée par mes collègues dans l’exercice de mes fonctions fut précieuse pour réaliser sereinement les différentes actions qui m’incombaient. Mes initiatives personnelles furent toujours accueillies avec bienveillance.
“ Bien que « Junior » sur le papier, mes collègues m’ont toujours considéré comme « responsable » de ma thématique. En étant vu comme un responsable, j’ai pu agir comme tel ! ”
Qu’as-tu apprécié dans ton travail ?
Mon travail fut tellement varié que la routine n’a pas trouvé de place pour s’installer. Les multiples rencontres m’ont permis d’aborder des personnes de tous horizons. Il était ainsi possible de rencontrer sur une même semaine de travail ; un maire, un artisan forgeron, un ministre, un agriculteur, un directeur d’entreprise, un récupérateur informel de déchets, …
Qu’as-tu appris durant ton expérience avec le Programme Junior ?
Le Programme Junior m’a donné l’occasion de découvrir le monde de la coopération au développement, de briser certaines idées reçues par rapport à ce secteur, d’identifier les conditions de réussites d’un projet, les limites de l’intervention, … Mon regard sur la coopération est aujourd’hui plus critique et éclairé.
Bien que je ne souhaite pas forcément faire carrière dans l’assainissement, cette expérience a développé considérablement mon expertise dans ce domaine. La force de l’ODD 6 « Eau Propre et Assainissement » réside surement dans le fait que ça implique aussi bien l’amélioration de la santé humaine que la protection de l’environnement !
“ Voyant que les chantiers en cours sont entre de bonnes mains, je m’envole certes le cœur lourd mais l’esprit serein ! ”
Comment envisages-tu l’après Programme Junior ?
De retour en Belgique depuis peu, je vais y chercher une nouvelle opportunité professionnelle dans le secteur de l’environnement, que ce soit dans la coopération ou non. Pierre a trouvé un travail comme Chargé de mission Santé-Environnement chez Inter-Environnement Wallonie.
La diversité des activités réalisées et l’initiation à la gestion de projet dans un contexte difficile comme la Guinée constitue un atout indéniable sur le marché de l’emploi, aussi bien en Belgique qu’à l’international.
Je ne souhaite pas m’expatrier à nouveau dans l’immédiat. L’expérience vécue en Guinée doit être assimilée et un peu de stabilité me permettra de d’avoir un recul suffisant sur « où » je veux aller par la suite.
En conclusion, je recommande le Programme Junior à tout jeune qui se retrouverait dans quelques-mots-clés suivants : voyageur, curieux, hésitant, engagé, en questionnement, en manque d’expérience, … bref à tout jeune en quête de sens et souhaitant s’impliquer dans une transition durable.
“ Ensemble, où que nous vivions, retroussons nos manches ! Même Junior et sans expérience probante, nous pouvons apporter une plus-value. ”