Koen Vanmechelen construit un CosmoGolem au Rwanda
À l’instar du reste du monde, l’urbanisation est un fait au Rwanda. Selon les prévisions, quelque 70 % de la population habiteront dans les villes en 2050 (en 2015, ce pourcentage ne s’élevait encore qu’à 18 %). Si l’urbanisation constitue certes un défi à relever, elle offre aussi des opportunités de création d’emplois et de promotion du développement économique.
Villes émergentes, Rubavu, Musanze et Rwamagana offrent un grand potentiel économique grâce au tourisme, aux terres agricoles fertiles et à la proximité de plus grandes villes comme Kigali et Goma (RDC). Enabel recherche, en compagnie des autorités locales, des solutions qui permettront de mener à bien le développement urbain. Et sur ce plan, la participation de la population locale s’avère essentielle.
Petite ville de montagne localisée dans le nord du Rwanda, à proximité de la frontière congolaise, Musanze est la porte d’accès au célèbre Parc des Virunga, qui abrite les gorilles des montagnes. En partenariat avec l’administration communale, Enabel y bâtit notamment un centre de jeunesse, qui ouvrira officiellement ses portes en septembre 2023 avec, cerise sur le gâteau, l’inauguration d’un CosmoGolem, une statue en bois façonnée par l’artiste belge Koen Vanmechelen. Une raison suffisante, selon nous, pour tenir une interview.
Un CosmoGolem, késako en fait ?
Koen Vanmechelen : Le CosmoGolem est un géant en bois de 4 mètres de haut caractérisé par une tête ouverte, de grandes mains et de grands pieds, un corps creux et un volet à hauteur du cœur. Cette construction a surgi, sans crier gare, dans mon esprit alors que j’avais 17 ans. Fasciné à l’époque par la nature et les poules, j’étais en train de construire quelque chose à l’aide de planches et de poutres récupérées d’un poulailler. Une statue a alors vu le jour, que j’ai laissé décanter durant de nombreuses années, mais qui renfermait déjà en soi toute la philosophie de mon œuvre. La liberté ne peut être atteinte que lorsque celle-ci se matérialise dans une construction. C’est là toute la contradiction qu’il nous faut affronter en permanence. Toute la discussion entre nature et domestication. Une œuvre d’art est une prison en quête de sa propre liberté. Ce fut ma première activité artistique. Sans que je le sache, cette statue en bois m’a offert en cadeau une énorme philosophie. Et c’est ce que j’appelle l’art. 30 années ont depuis lors passé et le CosmoGolem s’est transformé en projet mondial qui a pour vocation d’aider les jeunes à trouver leur voix et leur identité. Il symbolise l’espoir et l’évolution dans le monde.
Entretemps, on recense déjà plus de 40 CosmoGolems à travers le monde : en Belgique, aux Pays-Bas, en Inde, en Équateur, au Pérou, au Chili, en Tanzanie, en Pologne, au Zimbabwe, au Mexique… Comment le CosmoGolem a-t-il entamé ce tour du monde et comment a-t-il abouti au Rwanda ?
Koen Vanmechelen : En fait, je me suis dit : « Cette statue m’a offert une telle liberté… Pourquoi alors ne pas l’embarquer et l’offrir aux jeunes afin qu’ils et elles puissent faire entendre leur voix ? » Aussi, j’ai fait évoluer la statue pour atteindre la maturité. J’ai ouvert la tête, ajouté un petit volet à hauteur du cœur, et me suis attelé au tronc, aux mains et aux pieds. Elle a donc évolué pour devenir une statue ouverte et réceptive, censée être nourrie par les idées des jeunes. Je ne sais plus trop comment je suis arrivé à ce mot, mais quoi qu’il en soit, un golem est un humanoïde mystique de la tradition juive, fait d’argile à qui un rabbin a insufflé la vie. Et comme je trouvais que ma statue représentait une figure cosmopolite, je l’ai baptisée CosmoGolem. C’est alors que m’est venue l’idée que je devais amener la statue aux personnes, aux communautés. Deux choses ont motivé ma décision de prendre la route avec mon CosmoGolem. C’est ce que j’appelle aussi la prise de conscience, la « magie » qui voit le jour parce que quelque chose se passe.
Ainsi, à un moment donné se déroulait dans une école de Maasmechelen la semaine de la diversité. Un enseignant m’a demandé si j’avais quelque chose à proposer ; j’ai donc proposé le CosmoGolem avec lequel nous avons remporté le prix de la diversité. J’ai reçu à l’époque un appel de Peter Adriaenssens, le pédopsychiatre, qui avait lu des articles à propos de moi. Il m’a demandé de venir parler à un congrès international, car il avait foi dans le pouvoir de guérison du CosmoGolem qu’il utilisait dans sa pratique où il traitait des enfants souffrant de traumatismes. À l’occasion de ce congrès, j’ai rencontré Jeanne De Vos, qui s’occupait d’enfants vulnérables en Inde et qui a été nominée pour le prix Nobel l’année suivante. C’est ainsi que le CosmoGolem s’est retrouvé en Inde, soit le début de son périple ininterrompu à travers le monde. Au Rwanda, la femme de l’Ambassadeur de Belgique, qui me suit depuis des années déjà, m’a mis en contact avec des personnes d’Enabel. Tant elle qu’Enabel croient dans l’importance de l’art pour une société harmonieuse et partant, dans le sens que peut prendre le CosmoGolem pour le projet de développement urbain à Musanze. Et nous y voilà donc.
À Musanze, nous construisons un centre d’artisanat et un centre de jeunesse avec les autorités locales. Ce sont des artistes et des artisan·es du bois et de la soudure au niveau local qui construisent le CosmoGolem en respectant un plan détaillé. Quel était leur point de vue par rapport à ce projet ?
Koen Vanmechelen : Je me rends toujours sur le lieu de construction du CosmoGolem pour ressentir la situation sur place, littéralement « tâter le terrain ». Nous avons rencontré à Kigali l’Ambassadeur, les représentant·es d’Enabel et deux représentant·es de l’organisation artistique Rwanda Arts Initiative. Très perspicaces, ils et elles ont immédiatement saisi les tenants et aboutissants de ce projet. Nous nous sommes ensuite rendus en voiture à Musanze pour rencontrer la population locale. Ce qui a également aidé, c’est le fait que le maire progressiste de la ville a une vision et est ouvert à l’idée de travailler avec des jeunes. Et cela a abouti à une union entre les personnes et les éléments. Nous trouvons là-bas un centre d’artisanat, un marché alimentaire, un centre de jeunesse ; il y a de l’espace et les personnes souhaitent en faire quelque chose. Les conditions sont réunies pour créer un vivier d’idées. Dans ce cas, vous savez que cela va marcher.
Et c’est à ce moment-là que ressurgit la philosophie de la statue. Nous construisons le CosmoGolem en matériaux durables, mais périssables. Si vous n’en prenez pas soin, il se détériorera. Et je pense que c’est une bonne chose. Les personnes doivent l’aimer, car quand on l’aime, on en prend soin. Jusqu’à présent, tous les CosmoGolems sont toujours debout. À l’exception d’un seul, situé dans le quartier Linkeroever à Anvers, qui a malheureusement été incendié et n’a jamais été reconstruit.
Le CosmoGolem est l’un de vos nombreux projets. Ce qui revient fréquemment dans toute votre œuvre, c’est le cosmopolitisme, la diversité, mais aussi la science. Cela s’est-il également développé de manière organique ?
Koen Vanmechelen : Lorsque j’analyse mes mots clés, la diversité arrive assurément en tête. La relation à l’autre passe immanquablement par la diversité. La fertilité revêt elle aussi de l’importance ; elle symbolise en effet la vie en soi et partant, le cosmopolitisme. Et l’immunité, le renforcement de votre immunité propre, mais aussi l’immunité d’autrui. Et cela ne signifie bien entendu pas seulement l’immunité biologique, mais aussi l’immunité mentale, la résistance et la résilience des individus. C’est là le cercle : fertilité, diversité et immunité. C’est très artistique à mes yeux, cela est très social, mais c’est également très scientifique.
Je suis docteur honoris causa en médecine, parce qu’une partie de mon travail a généré une réalité médicale. Par exemple, l’immunité de la poule via le Cosmopolitan Chicken Project, dans le cadre duquel j’ai croisé diverses races de gallinacés pour obtenir une poule cosmopolite, plus résistante, plus diversifiée et, dans ce sens, plus productive que la plupart des autres races. Fertilité, diversité et immunité s’assemblent ici à la perfection. À l’instar des planches et poutres récupérées sur le poulailler et avec lesquelles, petit jeune de 17 ans, j’ai construit mon premier CosmoGolem.
Le CosmoGolem érigé à Musanze sera officiellement inauguré en septembre 2023.
Plus d’infos sur l’artiste : koenvanmechelen.be – labiomista.be