Entretien avec Zoé Allado, responsable du projet pilote de modernisation de l'État civil en Guinée

La modernisation de l’état civil en Guinée s’inspire de l’expérience belge

Zoé Allado

Pays d’Afrique de l’Ouest comptant près de 14 millions d’habitants (2023), la Guinée est huit fois plus grande que la Belgique. Riche en ressources naturelles, elle est surnommée le château d’eau de l’Afrique de l’Ouest. Un pourcentage alarmant de la population guinéenne ne dispose pas d’actes de naissance, de mariage ou de décès. Les chiffres officiels indiquent que seulement 45 à 60% des Guinéens possèdent des actes de naissance et moins de 2 % des mariages et décès sont déclarés.

 

Enabel accompagne les autorités guinéennes à moderniser l’état civil via un projet pilote dans dix communes, financé par l’Union européenne. Zoé Allado, cheffe de projet, explique comment l’expertise belge est mise au profit de cette action en Guinée.

 

La situation en Guinée a l’air assez compliquée. Comment expliquez-vous cela ?

Il y a d’abord l’accessibilité des services d’état civil. Souvent ceux-ci se trouvent à grande distance des villages. Les procédures d’enregistrement sont assez fastidieuses et les citoyens – souvent par ignorance – ne sollicitent les actes d’état civil seulement quand le besoin les y oblige. Ou ils fabriquent de faux documents.

En Guinée, les faits d’état civil non déclarés dans les délais doivent faire l’objet d’une régularisation via les Tribunaux de Première Instance. En 2022, 44.493 nouveaux faits d’état civil ont été enregistrés dans les délais dans les dix communes pilotes du projet. Au cours de la même année 66.562 personnes ont obtenu des actes d’état civil délivrés sur base d’un jugement supplétif rendu par un tribunal.

De plus, le faible taux d’enregistrement des mariages et des décès constitue également un problème majeur en Guinée, avec seulement 2% de la population détenant des actes de mariage et de décès. Cela entraîne des difficultés pour les citoyens dans l’exercice de leurs droits fondamentaux et l’accès à des services et avantages sociaux tels que l’éducation, les soins de santé, l’emploi et la propriété foncière.

 

Pouvez-vous expliquer en quoi consiste le projet pilote de modernisation de l’État civil ?

Ce projet pilote vise à moderniser le système d’état civil et à faciliter l’accès aux documents essentiels tels que les actes de naissance, de mariage et de décès. En travaillant en étroite collaboration avec des partenaires institutionnels et privés, , notre objectif est de garantir que les 14 millions de Guinéens puissent jouir pleinement de leurs droits. Le projet s’est fortement inspiré des meilleures pratiques et leçons apprises de pays comme le Rwanda et la Belgique.

agents de l’état civil de la commune de Ratoma
Des agents de l’état civil de la commune de Ratoma satisfaits de leur nouveau système de travail

Comment s’organise concrètement le déroulement du projet ?

Tout d’abord, nous travaillons en étroite coordination avec les autorités guinéennes, notamment le ministère de l’Administration du territoire et de la décentralisation, ainsi que les dix communes pilotes sélectionnées. Par ailleurs, le Ministère des Postes et Télécommunication, le Ministère de la Justice, le Ministère des Affaires étrangères en charge des Consulats et le Secrétariat en charge des Affaires religieuses ainsi que des partenaires privés jouent un rôle clé.

Le processus comprend trois phases :

  • Premièrement, la création d’un registre national de l’état civil dans les dix communes pilotes sélectionnées. Les actes physiques sont enregistrés au niveau des communes et ensuite reportés dans un système central de base de données. À ce jour, plus de 105 000 actes ont été migrés dans le registre national digital de l’état civil guinéen.
  • Ensuite, le développement de trois modules d’application adaptée aux besoins de la Guinée. Durant cette phase, une équipe belge d’experts en technologie de la société DXC Technology travaille en collaboration avec les acteurs locaux pour développer une application spécifique à la Guinée. L’objectif est de sécuriser les actes dans les registres, d’harmoniser et de faciliter la production des jugements supplétifs et de permettre la déclaration automatique des naissances via une application mobile, réduisant ainsi le délai de déclaration à dix jours maximum.
  • Enfin, l’adaptation des lois et réglementations, cette phase vise à adapter les lois guinéennes pour accompagner l’évolution vers la digitalisation de l’état civil. Des discussions sont en cours avec les acteurs concernés, y compris le SPF Justice de Belgique, pour assurer une harmonisation juridique.

 

Qui sont les partenaires publics impliqués dans le projet ?

Nous mobilisons l’expertise la plus pertinente grâce aux actions menées par l’Agence de Simplification Administrative (BOSA), le Comité de Gestion de la Banque de données des actes d’état civil belge (BAEC) et la société DXC Technology, une société belge qui a accompagné tout le processus de digitalisation de l’état civil belge en 2019.

Le partenariat se déroule de manière collaborative et étroite. Les équipes belges se rendent en Guinée tous les deux mois pour travailler directement avec les acteurs locaux. Pendant ces séjours, nous construisons ensemble le plan d’action et développons les outils nécessaires à la digitalisation de l’état civil.

La décision de travailler avec ces partenaires a été prise conjointement par le gouvernement guinéen et les organisations belges impliquées. Ce choix s’est basé sur la reconnaissance de l’expertise et de l’expérience de la Belgique en matière de digitalisation et sur la volonté d’apporter des solutions concrètes aux problèmes existants en Guinée.

Agents du centre d’état civil de Kaloum migrant des actes de naissances
Agents du centre d’état civil de la commune de Kaloum migrant des actes de naissances dans l’application E-Registre

Depuis le démarrage du projet, quels sont les défis auxquels vous avez dû faire face ?

Actuellement, le projet est accompagné d’efforts soutenus pour sensibiliser les acteurs impliqués, tels que les officiers d’état civil, les élus locaux et les partenaires institutionnels. Il est essentiel de convaincre ces parties prenantes de l’importance de la mission et de les encourager à adopter de nouvelles pratiques, car le système actuel ne facilite pas l’accès à ce droit aux citoyens.

Avant d’engager une démarche auprès de la population, il est primordial de consolider le système et de surmonter les obstacles liés à l’absence de ressources humaines qualifiées et de rémunération pour de nombreux acteurs communaux. Cette étape préliminaire est cruciale pour garantir la fiabilité et l’intégrité du système d’état civil, en préparation de son déploiement plus large à l’échelle nationale.

 

En avril dernier, un voyage d’études a été organisé. Quel était l’objectif de cette visite en Belgique ?

Cette visite avait pour objectif de ramener en Guinée des connaissances approfondies sur la digitalisation de l’état civil et des idées sur la façon d’interconnecter l’état civil avec les structures sanitaires et les lieux de cultes. Mais aussi de rencontrer les membres du comité de gestion de la banque de données des actes d’état civil belge (BAEC) et de confronter les expériences.

Des visites et diagnostics ont été réalisés dans différents ministères belges, ainsi qu’au sein des consulats de Guinée à Bruxelles et à Paris, pour explorer les possibilités de digitalisation et voir jusqu’où il est possible d’aller dans ce contexte politique sensible marqué en Guinée.

 

Quelles sont les perspectives à venir pour le projet ?

Le projet se trouve actuellement dans une phase de démonstration pour prouver son efficacité. Les résultats obtenus jusqu’à présent ont convaincu l’Union Européenne. Une extension du projet est déjà envisagée afin de consolider et sécuriser les actes à une plus grande échelle.

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