Poser les bases d’une architecture durable
Comment Enabel promeut-elle l’architecture durable dans ses projets dans les pays partenaires ? Deux architectes, Karine et Elodie, parlent de leur travail au Burundi et au Rwanda. Elodie Deprez et Karine Guillevic travaillent sur des projets différents dans des pays différents. Il existe néanmoins un dénominateur commun à leurs activités : la promotion d’une architecture durable et la mise en place de mesures concrètes pour en élargir l’attrait.
Elodie Deprez est basée au Rwanda, et Karine Guillevic au Burundi. Alors qu’ Elodie participe à plusieurs projets de construction, Karine apporte son expertise à des projets éducatifs destinés à former de jeunes professionnel·les à des emplois techniques. Malgré ces différences, toutes deux œuvrent à la généralisation de l’architecture durable dans leur pays respectif.
Il n’y a pas de journée type
Elodie et Karine apprécient toutes deux la variété de leur travail. En sa qualité d’experte junior en architecture durable pour l’Initiative de développement économique urbain (UEDi), Elodie ne peut pas vraiment parler de « journée type » dans son travail. « Je travaille sur le développement des infrastructures, mais aussi sur le développement du secteur privé, ce qui signifie que nos projets sont variés. Il peut s’agir de routes, de centres d’artisanat, de marchés locaux, et nous construisons même un centre pour la jeunesse.
« Je travaille avec des consultant·es et des entreprises locales sur ces différents projets, mais aussi sur la création de politiques en matière d’économie circulaire, l’appui aux entreprises pour l’acquisition de technologies et leur accompagnement vers un processus d’économie circulaire. En outre, nous travaillons dans trois districts différents, ce qui implique de nombreux déplacements pour rencontrer les gens sur les différents sites. C’est aussi ce qui me passionne dans ce projet : il y a une multitude d’activités, et il est toujours possible d’en créer de nouvelles. »
Karine, de son côté, travaille comme experte en architecture internationale pour un projet qui vise à répondre aux besoins du Burundi en matière d’infrastructures et d’équipements pour les centres de formation professionnelle. « Bon nombre des activités que nous mettons en œuvre s’articulent autour de cet objectif. Ce que j’apprécie vraiment, c’est qu’à côté de l’approche « classique » consistant à travailler avec des entreprises de construction, nous avons commencé à organiser des « chantiers-écoles », c’est-à-dire des chantiers qui engagent des étudiant·es fraîchement diplômé·es et leur donnent ainsi l’occasion d’acquérir une première expérience professionnelle tout en bénéficiant de l’encadrement d’enseignant·es et d’ouvrier·ères du bâtiment expérimenté·es.»
Nous avons organisé des “chantiers-écoles, c’est-à-dire des chantiers qui engagent des étudiant·es fraîchement diplômé·es et leur donnent ainsi l’occasion d’acquérir une première expérience professionnelle tout en bénéficiant de l’encadrement d’enseignant·es et d’ouvrier·ères du bâtiment expérimenté·es.”
Karine Guillevic- Experte architecture au Burundi
Promouvoir une approche holistique
La promotion de l’architecture durable nécessite de faire preuve de persuasion, au Rwanda comme au Burundi. « Il y a une inclination chez les architectes à utiliser le béton pour la structure du bâtiment. Mais le béton est un matériau importé et sa production est très énergivore », explique Elodie. « C’est pourquoi nous encourageons l’utilisation de matériaux locaux, tels que la pierre, le bambou, les sous-produits agricoles et la brique perforée. »Fabriquée à partir de matériaux traditionnels, la brique perforée est un nouveau type de brique de construction, qui peut remplacer le béton armé pour la structure porteuse d’un bâtiment. Comme elle est produite localement au Burundi et au Rwanda, la brique perforée contribue également à l’économie en permettant aux producteur·rices locaux·ales de se développer.Karine et Elodie travaillent toutes deux en collaboration avec SKAT PROECCO, une organisation qui contribue à promouvoir la brique perforée en fournissant une expertise technique et en dispensant des formations aux architectes et aux entreprises de construction. « Elle assure également la formation des maçons et maçonnes qui travailleront sur la construction », ajoute Karine. « Et cela inclut non seulement la main-d’œuvre sur les chantiers classiques, mais aussi nos maçons et maçonnes fraîchement diplômé·es qui travaillent sur nos chantiers-écoles. »Ces photos montrent l’évolution du chantier vers des centres de ressources multimédias accessibles aux jeunes au Burundi.
“Nous considérons les villes comme des êtres vivants, avec un écosystème complexe qui doit créer un espace pour les citoyens et citoyennes, l’environnement et le secteur privé. Il doit y avoir de la place pour qu’ils puissent tous s’épanouir.”
Elodie Deprez- Experte junior architecture au Rwanda
Penser au-delà des projets
Cette formation constitue un élément essentiel du projet d’architecture durable. « Nous œuvrons à la création d’un cycle vertueux », explique Karine. « Il ne suffit pas de former les architectes à intégrer des briques perforées dans leurs projets. Nous devons aussi nous assurer qu’il y a suffisamment de main-d’œuvre qualifiée ayant de l’expérience avec ce matériau, afin que les entreprises de construction puissent embaucher. C’est ainsi que nous pouvons créer un cercle vertueux, puisque les bâtiments achevés serviront de preuve de concept pour les promoteur·rices et les architectes. Les entreprises de construction acquièrent de l’expérience en travaillant avec ces matériaux, tout comme la main-d’œuvre. En d’autres termes, toutes les parties prenantes de l’écosystème de la construction participent de la sorte à la démarche d’utilisation de matériaux durables et se soutiennent mutuellement à cet égard. »
Outre la promotion d’une architecture durable, l’utilisation de matériaux locaux a également d’autres implications. L’utilisation de matériaux qui ont un lien étroit avec les traditions de construction locales rend l’entretien plus facile et moins coûteux. Elle favorise également l’inclusion sociale, en fournissant du travail aux jeunes générations. « Cela compte beaucoup dans les pays où la population est particulièrement jeune. Et cela permet également de s’assurer que les jeunes s’engageront dans des activités mieux adaptées aux défis environnementaux auxquels nous sommes actuellement confronté·es », explique Elodie.
Et Elodie de poursuivre : « Nous considérons les villes comme des êtres vivants, avec un écosystème complexe qui doit créer un espace pour les citoyens et citoyennes, l’environnement et le secteur privé. Il doit y avoir de la place pour qu’ils puissent tous s’épanouir. »
Sur ces photos, des habitants du Rwanda partagent leurs idées sur le développement urbain. C’est ainsi que nous concevons des espaces publics qui répondent aux besoins des utilisateurs.
L’architecture au service des citoyens
L’architecture durable ne se limite toutefois pas à la promotion de matériaux durables. « Il faut aussi collaborer avec les communautés », explique Elodie. « Au Rwanda, de nombreux bâtiments modernes qui ont été construits récemment se retrouvent vides, faute de répondre vraiment aux besoins de leurs utilisateurs et utilisatrices potentiel·les. L’intégration des citoyen·nes dans chaque projet permet aux architectes de recueillir leur avis et de l’intégrer dans la conception. »
Karine est tout à fait d’accord. « En général, les gens sont très ouverts et veulent contribuer : ils ont des idées ainsi que des informations utiles à partager. Par exemple, si vous voulez construire un très grand marché, cela exclura les petit·es commerçant·es qui font partie de la communauté. Trouver des moyens d’intégrer leurs besoins dans le projet contribuera à faire en sorte que ce nouveau marché soit largement accepté. »
La Covid, les règles strictes et les contraintes de temps qui en ont découlé ont constitué un défi pour l’organisation de réunions communautaires. Cependant, il n’est jamais trop tard pour inclure la communauté et créer des projets de construction à petite échelle qui incluront ses idées et renforceront son sentiment d’appropriation et de fierté. Comme l’illustre Elodie à l’aide d’un exemple : « En plus d’un marché, vous pouvez prévoir des jardins communautaires, offrir un soutien à la coconception de petits magasins connectés aux grandes infrastructures, contribuer à l’intégration de la gestion des déchets, faire participer des artistes locaux·ales ou des jeunes, etc. »
Cela amène Karine à souligner le rôle social de l’architecture. « Quand on pense à l’architecture, on a tendance à penser qu’il s’agit d’esthétique. Mais l’architecture durable va bien plus loin : son rôle est de renforcer la dignité de la communauté par une participation active. En l’impliquant dans le projet, on crée des bâtiments mieux conçus et adaptés aux besoins des citoyens et citoyennes. C’est un facteur d’appropriation et de fierté. »